mercredi 24 mars 2010

17 (?) juin : Gaultois et la pêche miraculeuse





Gaultois. Nous naviguons entre roches et mer. Quelques ersatz de végétation. Accrochés sur les rochers. Je sens, dans mon ventre, le souffle de l’océan. Nous accostons. Encore un petit village de marins. Un âne est planté sur son piquet, qui tourne en rond. Il me fait mal au cœur quand tant d’espace et de liberté s’aperçoivent aux quatre coins de l’horizon.



Encore une fois, ciel et nuages dansent un incroyable ballet dans une lumière toujours aussi belle et éclatante. Après une petite excursion en solitaire, je rejoins Clément sur le bateau qui me propose d’aller tester les lignes de pêche avec le Zodiac. Ni une, ni deux, j’acquiesce et nous voilà partis sur les légendaires bancs de Terre-Neuve que les marins de l’Atlantique fréquentent depuis des siècles. Déjà les vikings allaient faire prise dans ces fonds formidablement poissonneux. Depuis quelques années, avec l’industrialisation de la pêche, ces bancs sont interdits aux chaluts. C’est le cabillaud (ou morue) qui y est exploité à outrance. Après avoir fait quelques miles, nous nous décidons pour une anse rocheuse où tremper nos lignes terminées par un leurre. Nous évoluons à tâtons. Au départ, nous ne prenons rien, et bougeons doucement, à la rame pour faire le moins de bruit possible. Puis, un fil se tend, et nous le remontons. Un joli spécimen apparaît à la surface.



L’autre ligne se tend aussi pendant la manœuvre. Nous sommes au-dessus d’un banc. Il nous suffit alors de remonter le poisson, de l’achever d’un coup de rame (la partie que j’aime le moins), de replanter la ligne dans l’eau, et quelques minutes à peine sont nécessaires pour remonter une morue frétillante. En tout, nous avons du remonter une quinzaine d’entre elles en une heure. Ce qui à mes yeux est une pêche miraculeuse.



Le soir tombant, nous rallions Gaultois et le Rara Avis. Les cabillauds tout frais rejoignent les mains expertes de nos cuisiniers du jour, pour venir nous régaler les papilles au dîner. De mémoire, je n’ai jamais goûté encore un poisson aussi fondant et délicieux. Demain, de ce côté de l’Atlantique nous attend un minuscule bout de France. Pas patriote pour un sou, la hâte me gagne pourtant…

lundi 15 mars 2010

16 (?) juin : McCallum





McCallum. Le navire approche d’une multitude de récifs, dressant leur crinière de roc face aux vents agressifs et froids d’une nature brute. Nous voulons accoster, mais le bateau de ravitaillement fait son passage hebdomadaire. Nous restons au loin, au « mouillage ». Façon de dire que les préliminaires sont insupportables. Bien trop longs. Bien trop « mouillés ».



Enfin l’on nous fait signe (je ne sais comment, de loin, par radio ou par télépathie) d’arrimer. Nous allons sans hésiter dans l’anse – comment faire autrement ? Le port se dévoile dans sa nudité. Rien, que ce port. Des cages en bois (casiers pour pêcher le saumon… ou le homard ?) recouvrent les mètres carrés inusités par les pas des badauds – inexistants. Le village est un hameau. Un espace clos où évoluent les navigants. Peut-on vivre sur un désert de pierre ?





La paysage est magnifique. Intrigant. Il laisse augurer des merveilles de profondeur… En profondeur, des merveilles... Mais trop profond. On ne peut décemment supporter que les flots, vivants, qui viennent lécher la vie. La rendre alléchante.
La nuit tombée, le village se transforme. Mystérieux, presque lugubre. Les gens ne nous ont pas abordés, passagers. Et les voici cloîtrés, dans des murs de bois filigranés dans cette nuit orangée. Nous sommes encore des ombres dans la nuit, rendus visibles par des lampadaires outrageux. Là, posés sur la mer, posés sur la terre capricieuse.





Terre-Neuve est toujours magnifique, et je ne suis qu’une ombre.



mardi 9 mars 2010

15 juin (je ne sais plus), journal demer, suite.


Cette fois, nous avons mouillé dans un fjörd, les découpages de la roche sont fascinants. Rien n’existe ici, que la pierre, quelques feuilles et l’eau, toujours l’eau. Tout est mouillé, et foutrement solide ! Des chutes, des ruisseaux, des racines… Je perds les miennes tandis que je les retrouve. Le ciel est gris, et moi grisé. Sans alcool, sans rien. Que mes yeux pour respirer. Que ma bouche pour me tenir muet. Il n’y a que la nature ici. Je n’ai cure des sentiments, des outrages, de la représentation ! Allez vous faire foutre les vivants ! Je ne suis que mort dans vos rêves atrophiés, je ne suis que le spectre de mon spectre, et je vous emmerde.


Allez ! avec vos excréments, vos purulences et votre prurit. Je ne fais que vous conchier. La nature a repris ses droits et vous n’êtes plus que Rien ici. Je vous exècre, vous qui n’êtes que moi… Allez donc, allez donc ! Je n’irais pas.

jeudi 4 mars 2010

13 juin, les couleurs de Burgeo (journal demer, suite)





Burgeo, Newfoundland. Charmante petite bourgade sous la lumière si particulière – éclatante, pure, luminescente – de Terre-Neuve. J’ai pas mal arpenté les rues de cette petite ville qui se découpe dans l’eau. Et le ciel aux mille couleurs sur lequel venaient peindre les nuages est certainement le plus beau qu’il m’ait été donné de voir, de mémoire. Je n’avais pas assez de mes yeux pour l’embrasser en entier, pas assez de ma foi pour y croire et l’apprécier vraiment. Pas assez de cet appareil photo ridicule pour le retranscrire dans son irréelle émotion.






Marcelle, qui a réparé mon ‘superbe’ pull en laine d’alpaga d’Amérique du Sud (trouvé dans une friperie de Montréal, à 5 $, le plus chaud que j’ai pu porter jusqu’alors), a fêté ses 77 ans sur le bateau. Une belle occasion de se réunir tous et de savourer la convivialité naissante au sein d’un groupe qui se forme. Elle et son mari Raymond sont toujours en pleine forme, et d’une remarquable gentillesse. Je n’aurais pas cru le dire un jour, mais c’est beau de vieillir pour devenir comme cela. Une telle complicité – où ils savent parfaitement ménager leur solitude respective –, une telle joie de vivre et de découvrir…




Le soir, nous nous sommes retrouvés… dans un bar, évidemment ! Là, avec Brenda, Nolwenn, Lionel, Vincent et Gérard, nous avons fait une mémorable partie de fléchettes – qui semble être le sport national dans les terres désolées de Terre-Neuve – dont je suis incapable de me souvenir des résultats. Puis, la soirée avançant, notre nombre a décru, jusqu’à ce que l’on se retrouve à trois : Lionel, Vincent et moi, goûtant aux shooters maison, portant des noms évocateurs : Blow Job, Ass Hole, Cock Sucking Cowboy, Brain Tumor, Shit Kicker,…




Seulement, nous nous sommes vite sentis gringalets et intrus au milieu de gaillards nord-américains solidement charpentés, tous raides, nous lançant des œillades peu amènes, voire franchement mauvaises. Contrairement aux deux seules filles présentes – seul gibier potentiel pour les mâles en rut de la place – qui se trouvaient être un peu (beaucoup) trop entreprenantes avec les frenchies de la soirée, pour que nous en sortions indemnes. Il y avait notamment une petite brune qui se fichait pas mal que son copain (ou son plan cul ?) soit présent, pour me faire du gringue dès qu’il avait le dos tourné. Finalement, sentant le vent tourner, on a vite décampé et fait d’une traite les deux kilomètres qui nous séparaient du bateau.



Le bateau qui ce soir crie de toutes ses cordes et poulies sous les assauts d’un vent violent et incessant. Dans ma cabine, les yeux fermés, je revois la lande sous ce ciel fantasmatique de juin… Terre-Neuve est magnifique !


lundi 1 mars 2010

12 juin (suite), Isle-aux-Morts (journal demer, suite)




Après ma randonnée, je me trouve soudainement pris d’une sensation des plus bizarres… Rejoignant la ville et ses rares rubans d’asphalte, soudain, la terre ne semble plus si dure sous mes pas. Presque mouvante. Les images deviennent floues, les contours des bâtiments n’ont plus rien de droit. Ma tête bourdonne, les sons ne me parviennent plus directement. La terre tangue ! C’est donc cela le mal de terre…
Perdant toute notion, j’essaie de me raccrocher au tangible, à des repères courants. C’est tout naturellement que je me retrouve au bar, où presque tout l’équipage s’est donné rendez-vous. Dehors le temps est maussade comme le village, et il fait froid. Pour autant, je ne reprends pas pied tout de suite. Il me faut un Jäger et deux Molson pour que l’équilibre se rétablisse. Je rejoins alors le bateau, quelques heures, pour me réchauffer et me changer avec toute cette pluie qui a imbibé mes vêtements durant cette marche solitaire.




Le soir, nous sommes peu nombreux à rallier l’unique rade du bled. Et comme à Cap-aux-Meules, seuls Erwan et moi restons jusqu’à la fin. Bien nous en prend puisque nous passons une excellente fin de soirée, à écouter les autochtones usant d’une guitare, disposés en cercle et chantant à l’unisson. Au crépuscule de la soirée, nous sommes tellement familiers du lieu et de ses convives que nous finissons par parler avec tout le monde, et surtout les tenancières. Nous passons même derrière le bar, le temps de pixéliser l’instant sur mon appareil. Vers minuit ou une heure (qui semble plutôt cinq ou six heures du matin), l’endroit ferme ses portes, et nous nous résignons à rentrer. Le vent s’est levé et soulève quelques toits de tôle qui mugissent dans la nuit – les Morts de l’Isle semblent se réveiller, et c’est avec soulagement que j’aperçois la silhouette rassurante du Rara dans la pénombre du minuscule port.




Les phrases qui suivent sont extraites du journal que je tenais à bord (comme la plupart des lignes que vous lisez, seulement, je les réécris souvent apportant plus de détails, au gré des souvenirs. Rassurez-vous, tout ce qu’il y a ici est vrai, selon ma vérité, mais je ne fabule pas sur les évènements et les faits. Quant à mon univers intérieur, il est forcément de fables et d’imagination), seulement, je ne parviens qu’avec peine à les déchiffrer… Elles ont été écrites à mon retour de soirée, selon toute vraisemblance. Que je ne me réfugie pas derrière une excuse toute faite : ça n’était pas la mer, mais moi qui tanguais. Les voici, en V.O. :
« Mes mains comme des araignées sur la jointure de mes genoux, tissant autant de fils insignifiants sur celui de ma vie. Existant ! Pourtant… »

Apparemment, une insomnie est venue spolier mon sommeil, et je me retrouve « entre deux cigarettes au petit matin. That’s it, that’s all… auraient-ils coutume de dire. Mais la lande est là. Mais le vivant existe, malgré les films. Je ne suis plus chez moi quand existent les connes de raies. Pourtant je suis une raie. Sur le dos. Se mirant face contre sol, sciée, lascive et lessivée. J’abdique. »