mercredi 14 septembre 2011

Thanatomorphose




Reste droit, ne te retourne pas, mais n’oublie rien.
Souviens-toi, bien sûr tu pleuras, n’oublie rien.
Et ce ne sera pas le travail qui t’inventera,
Qui relèvera les ruines fumantes de sentiments tiédis,
Ce ne sera pas l’argent qui t’enchantera,
Qui meublera tes émotions sous emballages fleuris.

Il est des cadavres qu’on ne doit déterrer,
La nécrophilie ne ressuscitera pas ton palpitant.
Pâle pitance amère et moisie du passé,
Ne restera que chair, au goût absent.

Dans la pestilence des relents d’amours desséchées, avance.
Dans la puanteur putride des sentiments vérolés, avance.
Ne prends pas gîte dans les cimetières
Où les morts grattent à la recherche de ton cœur
Ne traîne plus les charniers délétères
Où résident encore de suffocants effluves de bonheur.

Il est des cadavres qu’on ne doit déterrer,
La nécrophilie ne ressuscitera pas ton palpitant.
Pâle pitance amère et moisie du passé,
Ne restera que chair, au goût absent.

vendredi 2 septembre 2011

Douce France VI






Je suis le fruit d’une norme NF,
Une capote qui capota,
Et me voilà !
J’vais essayer d’être bref,
Vous raconter ma vie française
D’un gosse précoce
Qui à trois ans faisait négoce
Avec ses parents
Au sortir de leurs champs.
« Des bras, des jambes et du cœur »,
Ce qu’ils me disaient en chœur.
« La vie c’est un labeur
Et nous des travailleurs ».
Je savais bien parler déjà
Et avais du gommer le non
De mon vocabulaire.
« Va-t’in traire eul’ vach
Sinon tu t’in vo avir eun’ claque ! »
Oui papa ! je m’en vais de ce pas
Me mettre au charbon,
Les vaches je vais les traire et sans braire
Récolter le lait,
Mériter mon repas.
A quatre, mon père me rossa,
J’étais tombé avec trois bûches sur les bras,
Et j’ai cogné ses tibias,
Il fit tomber son tabac
Avant de m’y passer – à tabac.
J’ai commencé à le craindre
Et loin de moi l’idée de geindre.
Après tout, pour mériter pitance,
Ne devais-je connaître souffrance ?
S’ils m’ont désiré puis accouché,
Ne leur devais-je de travailler ?
C’était si dur de m’élever,
Que je ne pouvais que les aider.



A cinq ans, je fêtais pour la dernière fois
Mon anniversaire en famille.
Après tout, « inviter tout l’monde ça coûte,
Et si in travaille nin, commint qu’on va gagner sa croûte ?.
Eul’ timps c’est d’l’argint,
Du bon timps, ça rapporte rin.
Tout y s’paie et in paie
Que si on a de quôi.
Pis pour avir eud’quôi,
In vind à ceux qui paient. »
J’apprenais bien mes leçons disait maman,
Avant même que je n’aille à l’école.
Tu es un bon garçon, pas un feignant,
Pas comme ceux qu’tu verras à l’école.
Justement à six ans,
J’en poussais les portes,
Car on est obligé à six ans,
Jusque seize avant qu’on en sorte.
Me demandant ce que c’était,
Et surtout à quoi ça sert de lire
Et de compter, quand tout ce qui comptait,
C’était de travailler.
Mais travailler pour eud’vrai.
Pas pour toutes ces coses,
Qu’in veut nous faire avoler,
In plus à côté eud’ brayoux
Qui faut tout di qui braient.
A sept ans,
J’étais bien mince,
Mais je savais,
Que j’étais le plus musclé.
Et au moins, je savais me servir de mes pinces.
Pas comme tous ces vauriens
Qui connaissaient même pas leurs mains.
Bien sûr j’étais tout seul à la récré,
Mais comment me mélanger
A ces gamins pour qui tout tombait tout fait ?
J’aimais mieux m’en tenir
A essayer vainement d’apprendre à lire.



A huit ans, j’étais trop mauvais et trop lent,
Mon instit’ voulait rencontrer mes parents.
Ça les a bien fait rire papa et maman,
De quoi qu’y s’mèlent ces gins ?!
Qui n’savo nin commint qu’in cultive un chimp ?
J’espérais juste que papa allait pas lui rentrer d’dans…
Parce qu’il avait les boules que cette bonne femme
Se permette de me juger « mauvais élève »,
Alors que je connaissais déjà tout du travail aux champs,
Alors pourquoi voulait-elle que j’me lève
Pour parfois aller apprendre des chants ?
J’veux dire, elle était pas méchante,
Juste qu’avec ses cours elle était chiante.
Finalement, mes parents n’y allèrent pas,
Des leçons à leur donner, elle en avait pas.
A neuf ans, je dormais pendant les cours,
Le travail à la ferme, les devoirs tous les jours,
Impossible pour moi.
A la maison, ça gueulait que j’travaille pas,
A l’école la maîtresse se foutait d’moi.
Toujours dernier, avec des colles où j’allais pas.
Ben non, mercredi je m’occupais des oies.
Et finalement, on me vira.



A dix ans une assistante sociale se présenta,
Voulant savoir ce qui n’allait pas.
Mon père la reçut avec fracas,
Et c’est bleuie qu’elle s’en alla.
Ce que mon père ne devina,
C’est qu’au final on me plaça.
Devant des gendarmes aguerris,
Il se résolut à lâcher son fusil.
Emm’nez-le c’bon à pus rin !
Si in peut pas faire bosser ses gamins,
Commint qu’on gagne sin pain ?
Barrez-vous bande eud’vauriens !
Barrez-vous avint que j’vous foutent eul’gueule dins l’purin !
Si y’avot nin d’honnêtes paysins, vous n’mingerios pus rin !
Et c’est ainsi qu’il me renia,
Ma mère en retrait qui pleura.
C’est l’assistante qui au foyer m’accueillit…
Croyant bon pour moi un bagne à petits.
J’y resterais quatre ans,
Et devant des gamins effrayants,
Parfois me cognant,
J’appris à lire pour m’évader,
J’appris à ne rien dire pour éviter…
Eviter les voir rire et se moquer,
Eviter le pire : les galvaniser.
Six fois l’an, maman quand même venait.
Mais ça n’était jamais facile :
Quand mon père et elle allaient à la ville,
Elle pour quelques courses acheter,
Et lui pour picoler.
Toujours trop bourré,
Alors il la laissait
Enfin en paix.
Et à nouveau elle pleurait,
Je ne pleurais jamais.
Je l’ai appris avec papa,
Ça m’a servi : pour qu’on me cogne pas.
Et chaque fois je lui disais de le laisser.
Maman, faut t’en aller.
Comment veux-tu ? si je le faisais,
Il me tuerait.
Elle n’est jamais partie,
Mais pourtant il l’a fait.
Je l’ai appris,
Deux ans après.



Juste à la fin de ma vie
Dans ce foyer délabré.
Dans la bibliothèque il y avait
Les journaux du comté.
On avait des voisins,
Les Macarez,
Une grande famille,
Grand’père, grand’mère,
Deux de leurs fils et une seule fille,
Pour l’un deux une femme,
Pour la fille un mari
Et leurs portées.
En rentrant un beau jour de juillet du marché,
Bien plus tôt qu’à l’accoutumée ;
Les légumes s’étaient arrachés,
Et le stock épuisé, mon père s’en est rentré.
C’est là qu’il surprit,
Ma mère et le volage mari
De la fille Macarez.
Chatouilleux du fusil,
Quatre balles il leur avait collé.
Une pour ma mère et trois pour le mari.
Les coups partis,
Il s’en alla les enterrer.
Mais tout ce bruit
Et le mari
Qui ne rentra jamais,
Virent déparquer la police
Et ses plus fins limiers
Un jour de fouille et d’interrogatoire leur suffit
Pour retrouver les corps à moitié dévorés dans le fumier.
Ça, les cochons se sont bien régalés.
Et je compris enfin pourquoi
Cette dernière année au foyer,
Ma mère ne vint pas me pleurer.
La gorge serrée,
Tout ce que j’espérais,
C’est qu’elle eut pris son pied
Plus souvent qu’à son tour
Dans les bras du vautour
De fils Macarez.
J’ai aussi hésité à aller voir mon père,
En prison le lyncher…
Mais c’eut été trop d’honneur
Pour celui qui ma vie et ma mère avait bousillées.



A quatorze ans devant mes progrès,
En lecture, en maths et en dictée,
L’assistante revint me trouver…
A nouveau pour m’emmener
Dans une pension de bonnes sœurs.
Après le bagne le cathé…
J’aurais finalement pu
Plus mal tomber.
Le problème c’est que j’me faisait chier…
Un Dieu auquel je ne croyais,
Et dix prières dans la journée…
Bien plus que je n’eus pu supporter.
Alors forcément je fuguais,
Il n’y avait pas de gardiens en uniforme
Comme au foyer,
Et déjà les formes
D’une fille de la ville m’attirait.
Tous les dimanches à la messe on se voyait.
Et c’est elle qui la première
M’envoya un message.
Message dont fermées les paupières,
Parfaitement je peux me rappeler.
Et je revois son visage…
Ses yeux d’un bleu sucré,
Sa bouche d’un rose foncé…
Et ses regards en dérobée…
Combien de fois y ai-je rêvé ?



Chaque dimanche j’attendais son billet,
Et toujours je lui répondais.
J’avais enfin compris que lire,
Avait une finalité…
Autre que fuir,
Ça permettait d’aimer…
Dimanche c’était trop peu,
Il nous fallait
Un plan échafauder.
Ça ressemblait à un jeu,
C’était notre vie qu’on jouait !
Alors un mercredi de mes quinze ans,
Du pensionnat je m’enfuyais.
Et le gamin errant,
Ils ne le retrouvèrent jamais.
Car ma Céline avait un cellier,
Au fond de son jardin,
Où ses parents n’allaient jamais.
C’est là que je vivrais, toute ma vie à tes côtés.
Ô ses baisers !
Ses lèvres rose foncé…
Fiévreux enfiévrés…
Deux ans de plus que moi
Et son bac à passer…
Je n’étais rien,
Vaurien dans une cabane en bois…
Elle me parla du bac…
Si je l’ai je m’en vais.
Tu n’auras pas ton bac !
Mes parents ne le supporteraient jamais
Tu n’as qu’à t’en aller…
Je ne peux pas, je ne suis pas comme toi.
Tu ne m’aimes donc pas ?
Si je t’aime, mais j’ai ma vie à gagner !
Mon père ne pensait qu’à la gagner,
Et c’est la vie que ma mère a perdu.
Moi aussi, mais je l’ai retrouvée,
Grâce à toi qui m’a embrassé…
Et moi je ne veux plus.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Je veux dire qu’il te faut partir.
Mais ma place est là, à tes côtés !
Je ne peux plus, je dois réviser,
Et puis j’ai les études que je vais commencer.
Mais ta place est ici ! à mes côtés !
Tu ne comprends pas,
Ma famille n’acceptera jamais…
Viens ! Viens avec moi !
On est pas du même monde, mais toujours je t’aimerais…
Devant l’immonde de cette pensée,
Je fuis à toutes jambes ma Céline, mon aimée.
Je décampais de cette ville,
Et pour la première fois depuis mon premier jour au foyer,
Des larmes se mirent à perler, à m’inonder.



Ô ma Céline me reniait !
J’étais mort, à nouveau mort, mort de honte d’exister.
J’allais apprendre la rue,
La violence, la drogue et la famine.
Tous les trois mois je changeais de ville,
Sans but, sans exister.
Puis un beau jour, un beau jour de juillet,
Arrivé à Paris,
A peine arrivé…
Je vis Céline…
Je vis Céline…
Au bras d’un costumé.



Toujours sublime,
Et ses lèvres rose foncé,
Ses lèvres rose foncé,
Se mélangeant avec famine
Dans celles avides de son ignoble fiancé.
J’ai vu Céline,
J’ai vu Céline.
Et je n’ai pas rêvé.
Là sur le pont,
Au bras de son ignoble fiancé.
Là sur le pont,
Où enfin j’écris…
J’écris Céline,
Je crie Céline…
Là sur le pont,
L’eau est profonde,
Je vois Céline,
J’échouai Céline,
Quand je n’avais rien demandé…
Céline dans ces lignes obscures…
La Seine ridée
Qui me murmure
De l’embrasser.
Céline, dans mes larmes se mêlant aux flots…
Céline, enfuie dans mes larmes en flots…
Je te laisse comme tu m’as laissé…
Ma sinistre enveloppe de peau
Ne vivant qu’au passé
Va se fondre dans l’eau…
Moi, ton ignoble fiancé.



mardi 26 juillet 2011

Douce France V

Je suis le fruit d’une norme NF,
Sans capote on cabota,
Et me voilà !
Je vais essayer d’être bref,
Vous raconter ma vie française
D’un gosse précoce
Qui fit du jeu son boss.
A un jour, premier hochet,
Un beau qui s’allumait
Quand on tirait la ficelle.
C’est bien quand on naît,
C’est tous les jours noël,
J’m’en souviens plus,
Mais c’est l’idée que j’en ai,
Et jouet sur jouet en cohue !
Enfin… à trois ans,
Quand j’me rappelle,
Je m’en foutais des pelles,
Des autos, des jeux d’enfant.
Ce que j’voulais c’était l’écran.
La tête dans la cathode,
Les mains sur la télécommande,
M’extasiant devant la diode
Et me foutant des réprimandes.
A quatre ans, première game boy,
Ma mère déjà, me trouvait grand.
J’avais trouvé le truc, quand je pleurais
Elle me la tendait,
« Unique » moyen pour me calmer.
Arrivé au CP, je savais déjà lire.
Il fallait bien,
Dans mon jeu de bagnole,
Fallait choisir sa tire.
C’est pas que je rigole,
Fallait… je me souviens…
A sept ans, j’avais la Play,
Et tous mes potes venaient.
Ça la dérangeait pas ma mère,
Au moins on la laissait tranquille.
Juste arriver quand elle posait la soupière,
Et pas gueuler pour qu’on se déshabille,
Enfiler le pyj’, et aller se pieuter
Sans sourciller.
C’est vite apprivoisé une mère,
Suffit de savoir quand on la fait chier,
Et comment la faire chialer.
A neuf ans, toujours premier,
« Ah… qu’il est éveillé ! »
Un bon bulletin
Rapportait toujours son butin,
Le dernier jeu 18/20
Dans Consolomagazine,
Je le trouvais un beau matin.
C’est que ma mère, elle était pas radine.
Abandonnée par mon père lorsque j’ai eu six ans,
Elle s’en est jamais remise vraiment.
Mais moi je m’en foutais,
C’était double-cadeaux,
Toujours des beaux,
Des jeux tout chauds,
Sony ou Nintendo.
A onze, sans me poser de questions
J’assimilais en cours mes leçons.
Jusque-là que du bon,
Et pour ma mère entière satisfaction.
J’atteignais un solide niveau
A tous niveaux.
Mais là où j’étais le meilleur,
C’était pendant toutes ces heures
Où l’écran défilait
Sous mes yeux aguerris
A la guerre dont on guérit
Sitôt la partie finie.
C’est à treize ans que je décrochais…
Et mes bulletins tiraient désormais
Dans le mauvais.
Plus jamais premier,
Je me maintenais,
Grâce à un rythme régulier,
Bonne note pour une mauvaise…
Ou comment avait tourné la mayonnaise…
Ça allait durer jusqu’au brevet
Et même après deux ans de lycée,
Mais à seize ans
(un an d’avance le gosse éveillé),
J’allais, pour une première, repiquer.
Evidemment, c’est l’année
Où j’ai eu mon premier PC
Et internet et tous ses attraits.
Ben oui, « maman j’en ai besoin pour travailler »,
Ahhhhh…. Mes premiers films de cul matés,
Premières filles tchatées,
Mais surtout, les premiers jeux en ligne,
Ceux où on joue jusqu’à ce qu’on s’aligne
Et puis dépasse les grands champions,
Ceux qui y jouent, y jouent toutes les saisons.
Et on se dit qu’ils sont tarés,
Jusqu’à c’qu’on veuille les dépasser.
Et emphasé, dépassé, déphasé,
J’arrivais à peine à me lever
Aller en cours pour me coucher,
Me réveiller enfin pour jouer,
Rejouer, et jouer jusqu’au soleil,
Une heure avant que dringue le réveil.
Mes profs l’ont remarqué,
Me demander si j’me droguais,
Aller voir pour me soigner.
Mais j’étais bien et entier,
Tout à ma passion de jouer.
A dix-sept, je m’efforçais
De redresser la barre,
Plus être aussi hagard,
Pas refaire une année.
Et puis j’ai découvert les soirées
Et le sexe opposé.
J’ai découvert le pinard,
J’ai découvert le pétard.
Alors je sentais que je vivais.
Etrange sensation
Que de sortir du cocon.
Découvrir qu’on est un cochon
Et trouver les solutions
Pour faire vivre son caleçon.
A dix-huit, ouf!, je passais
Le bac avec mention « étonné ».
J’allais pouvoir me barrer
Aller à l’université.
Enfin libre d’exister,
J’emmenais mon pc…
Ben oui, jamais on se r’fait
Et les cours je savais plus où c’était.
Levé toujours trop tard pour y aller,
Le pc, le pétard pour oublier.
Ainsi je m’engonçais
Dans les miasmes de l’oublié.
Ma mère parfois appelait,
Mais j’avais le téléphone coupé.
« Ne pas déranger, partie en cours ».
Parti en cours elle aurait préféré,
C’est pourquoi « j’y allais toujours ».
Mais que de joie en vérité,
Toutes ces heures passées
Sous mon pseudo anonyme
Faire vivre mon éponyme
Ce grand héros mystique
Et ses armées phalliques
D’hommes à trique
Portant fièrement ma tunique.
Puis, j’ai découvert dans ma salle de bains une glace…
Un inconnu m’accosta sournoisement me proposant de briser la glace…
Ce que je fis.
Ne pouvant supporter les débris
D’un corps amolli tout jauni.
Quelle était donc ma vie ?
Où était-elle cette pseudo-vie ?
Que représentait-elle ?
Virtuelle, sans lendemain réel…
Où allais-je ?
Que ferais-je ?
Mais finalement je souris
Et allai la rejoindre…
En quelques clics une vie,
25 ans RMI…
Et devant moi toute la vie.

mercredi 23 mars 2011

Douce France IV




Je suis le fruit d’une norme NF,
Sans capote on cabota,
Et me voilà !
J’vais essayer d’être brève,
Vous raconter ma vie française
D’une gosse précoce
Qui découvrit l’atroce
Après d’heureuses années
Chez mes parents passées.
A trois ans on m’offrit
Ma première Barbie,
J’adorais les poupées
Et ce serait princesse mon métier.
J’avais tout plein de jouets
Mais ce que je préférais
C’était quand papa jouait
A me faire tourner.
Dans tous les sens je virevoltais
Et jusqu’aux éclats on riait
Quand maman arrivait
Et qu’elle était terrorisée.
A quatre ans j’allais en maternelle
Et au début je pleurais
J’aimais bien trop
Mon p’tit berceau
Et quand on m’amenait
Je voulais repartir à tire-d’aile.
A cinq ans je m’y habituais
Et j’avais plein de copines
Et même des amoureux.
Dans la cour de récré
Ils me couraient après
Et je ne m’arrêtai qu’une fois ou deux.

A six ça y est, le CP,
Et les histoires
On les lisait à deux.
Avant de m’endormir et le dernier baiser
Elle me disait que plus tard
Ça serait encore mieux
Elle me donnerait ses livres
Des livres de grands
Où on voit les gens vivre
Vivre des choses de grands.



A sept ans,
On est parti en vacances,
En vacances à la mer.
C’était super !
Avec toutes ces vagues qui dansent,
Papa qui nous arrose
Et puis maman,
Qui sous l’soleil devient toute rose.
La mer c’était tellement géant
Que je pouvais pas y aller
Sinon on me grondait.
Je savais pas encore nager,
Et c’est vrai que l’eau était salée.
A huit ans,
Un soir qu’ils étaient invités,
Loin de pleurer,
J’étais contente qu’ils s’en aillent
Parce qu’arrivait ma baby-sitter,
C’était ma grande sœur
Et on jouait aux canailles.
Mais ils sont pas rentrés.
Papa n’est pas rentré,
Maman n’est pas rentrée.
Ils m’ont abandonnée.
Dans leur voiture
Ils sont partis pour le mur.
Et j’avais pas de grande sœur,
C’était qu’une baby-sitter.
J’avais ni frère, ni sœur,
Il me restait plus que des pleurs.



A neuf ans, depuis deux mois
Chez grand’maman et grand’papa,
Je n’pensais qu’à
Ma belle maman, et mon gentil papa.
Alors je pleurais
Et grand’maman me donnait des fessées.
Grand’papa me consolait alors
Il me prenait dans ses bras
Et me disait « alors mes cheveux d’or,
Faut pas crier comme ça,
Tu sais que grand’maman t’adore,
Mais chez elle on ne crie pas ».



Je l’aimais bien mon grand’papa.
Il était toujours là,
Et s’occupait de moi.
Mais grand’maman c’était toujours
Des « fais-pas-ci, fais-pas-ça »
Et quand on était à deux
Elle me laissait dans le séjour
Sans faire attention à moi,
Et disait « les enfants, c’est pas un truc de vieux ».
Mais bon, elle était pas si méchante
Quand je ne criais pas.
Elle savait même être charmante
Quand je l’aidais à ci ou ça.
A dix ans,
Je m’y faisais,
Ce n’était plus si chiant
Ni angoissant
Je voyais d’autres enfants
Mais toujours ils me demandaient…
« Elle fait quoi ta maman ? »
Et je pleurais.
Alors j’allais voir grand’papa.
Il me prenait sur ses genoux
Mais depuis quelques temps,
Ce n’était plus si mou
Et il était bizarre
Avec ses yeux hagards.



Aussi je remarquai
Que les câlins ne se faisaient
Que quand grand’maman
Etait partie.
Il ne voulait plus seulement me consoler
Il voulait « juste me câliner ».
Au début ça me surprit.
Puis j’y pris l’habitude,
Mais son visage changeait
Et ses caresses étaient moins prudes.
A onze ans, il me montrait son zizi.
Je l’avais vu sur mon papa aussi
Mais il était pas pareil,
Celui de mon papa était petit,
Tout rabougri.
Celui de grand’papa était énorme
Pas la même forme.
Et j’avais peur
Quand dans son pantalon
Je voyais cette bosse.
Alors coulaient mes pleurs
Parce que c’était pas bon.
Mais toujours il me disait
Que c’était un secret
Que grand’maman crierait
Si elle l’apprenait
Et sortirait
Le martinet.
Et à personne fallait le dire,
Sinon c’était le trahir.
Et comme je l’aimais
Et que j’avais nulle part où aller,
Le mieux c’était le secret,
Sinon dehors j’irais coucher.



A douze ans au collège,
Je commençais mon florilège,
Les conneries s’enchaînèrent
Au rythme de toujours plus qu’hier.
Je m’en foutais,
Car plus je restais à l’école
En colle
Moins y’avait de pépé qui me colle
Et mémé pouvait bien me fesser
Je l’endurais sans broncher
Et quand elle sortait le martinet,
Toujours je m’enfuyais.
C’est qu’elle courait pas vite
La décrépite.
A treize ans,
Malgré les protestations du vieux vicelard,
Mémé pensa me mettre au placard.
En pensionnat j’irais,
Peut-être sauraient-ils me calmer,
Car à leur âge on ne pouvait
D’une furie s’occuper.
Je lui donnais raison,
Et j’étais sage,
Eviter à tout prix
Qu’ils me renvoient dans leur maison.
Et pour un an je tournais la page,
Mais les vacances ont suivi.
Ainsi que l’innommable.
Mais je fus si insupportable
Qu’elle m’envoya en colonie.



Au fond, cette grand’maman je la chéris.
Elle faisait tout
Pour m’éloigner de lui
Et ses ignobles bisous.
A quatorze ans,
Toujours moins sage,
J’étais déjà volage.
Avec les lycéens, les grands.
Ces grands dont avait parlé ma maman,
Ces grands des livres aimant.
Bien sûr, je pleurais ma maman.
Elle m’avait pas dit ça des grands.
Elle m’avait pas parlé des glands.
Finalement, ils étaient tous comme grand’papa,
Mais je les connaissais déjà,
Avec cette seule chose qui leur fait plaisir,
Les faire jouir ;
Avec tous les secrets qu’on doit garder
Et pas parler de leur gland à masser.
Ces glands qu’on doit aussi sucer
Pour pas se manger des marrons.
Mais j’y trouvais à gagner
Car outre les marrons,
Parfois ils me filaient des ronds,
Pour voyager dans mon esprit vagabond.
A quinze ans,
Après les décollages à coup de colle
Il fallait bien que je m’envole,
Que je vole pour de bon.
Mais il fallait des ronds.



Alors de plus en plus,
Je fréquentais
Des châtaigniers
Qu’en voulaient toujours plus,
Alors je m’abaissais,
Le fric pomper.
Et j’en avalais du fric,
Surtout celui des plus grands,
Des plus vieux. Au portefeuille béant.
A seize, la capitale.
Après tout, je voyais que je pouvais gagner ma vie.
Je savais que là-bas, pour s’envoler c’était le paradis.
Bienvenue en enfer me signala le panneau
A l’entrée de la vile.



Le routier qui m’avait prise et pas qu’en stop
Me déposa après un passage chez un pote.
Il me jeta pour être exacte.
Comme tous après l’acte.
Je ne connaissais personne
Et la première nuit, je la passai avec un pont,
Sous une épaisse couverture de journaux,
Dont certains n’avaient pas eu le temps de prendre l’eau.
Je m’étais mis en tête de trouver un boulot sur le trajet.
Je n’en pouvais plus de cette vie à gerber.
Et les brumes de la drogue s’estompaient parfois.



Souvent pour me dire qu’à l’intérieur il faisait froid,
Et c’est elle qui venait me réchauffer.
Mais je ne pouvais pas non plus continuer.
C’est que l’amour je l’ai vécu.
C’est aussi celui de grand’papa qui m’a vaincue.
Mais le souvenir de papa et maman restait
Malgré l’ignominie et la folie.
Fort comme un roc,
Saillant tel un soc.
Et moi, si laide,
Ne méritant pas aide…
Maman… papa…
Néant… trépas…



A dix-sept ans, j’avais tissé un réseau,
Avec mon dealer de Jojo,
Mon Maque La Matraque
Joséphine ma coloc’ de squat,
Maria, ma mère de substitution,
Subutex maternel,
Lorsque je dev’nais moite
A force de prostitution,
De sexe dans le gel.
Que méritais-je de mieux ?
Et au moins,
J’étais plus chez les vieux.
Au moins,
J’enfournais plus son gâteau de gâteux.
Ô moins !
Moins que rien…
Juste une putain…
Papa… maman…
Ce froid… trop grand…
Après m’être faite défoncée,
Me défoncer…
Défonce après défonce…
Et pas une once…
Une once de ce qu’on appelle amour…
Je me rappelle plus… amour…
Je me rappelle… amour…
Maman « je t’aimerais toujours »
Partie pour toujours…
Papa « ma petite amour »
Oui, petite… puis plus d’amour…

Vite !

Un shoot…


Ça y est, je touche au but…
Je ne veux plus… être pute…
Pfuittt ! Je sens la fuite…
Et puis la brume…
Elle m’enveloppe,
Moi la salope,
Ahhh… cette brume…
Posthume…
………
……

..
.

jeudi 17 mars 2011

Douce France III



Je suis le fruit d’une norme NF.
Sans capote on cabota
Et me voilà !
J’vais essayer d’être bref,
Vous raconter ma vie française
D’un gosse précoce
Qui à trois ans n’était plus gosse
Lorsque papa disait d’se taire.
Puis à quatre ans Noster Pater,
A cinq Ave Maria.
A six je me signais aux repas.
J’avais une bible
Qui m’indiquait la cible,
Fallait qu’je sois sensible,
Et toujours disponible.
A sept, j’avais déjà mon aube
Et me levais à l’aube.
A huit, déjà formaté,
C’est le missel que j’récitais.
A neuf ans, je découvrais la vie
Avec monsieur l’curé
A dix je m’prosternais devant Marie
Pour m’sieur l’abbé.
La bouche pleine de ses sermons
Sortants du pantalon.
J’avalais tout pour être pur.
Ne m’avait-on pas dit que tous étions impurs ?
J’enviais souvent jésus tranquille sur sa croix,
Souffrant d’une souffrance pleine de foi.




A onze, le collège.
Millier d’enfants pas comme moi.
La religion ?
C’est pour les cons.
Quel sacrilège ?!
Voir ma vie perdre sa foi.
Me trouver con
A croire ces affabulations.
C’est impossible, j’ai trop souffert
C’est impossible, mon cœur est vert.
A douze ans, biologie
Où j’ai appris
Le sens du mot pénis,
Que l’élixir est la semence.
Que seul le vice
S’est déversé à outrance.
A treize,
J’allais en reparler
Avec monsieur l’abbé.
Ce fat obèse.
Je voulais le confessionnal,
Il me dit de sortir
Qu’il fallait me punir
Après l’oral je passai l’anal.
A quatorze ans,
La peur était tout l’temps,
Une peur funeste
D’avoir inoculé la peste
Cette semence
Qui avait éclot
Après arrosage de sanglots
Sur une lancinante démence.
Je n’pouvais plus parler,
J’avais trop peur,
Trop peur…
Y’avait l’abbé…




A quinze ans, dev’nu autiste,
Mes parents se réjouirent
De me voir tant prier.
Pour eux j’étais pas triste
La foi avait tissé son empire
Et je m’accomplissais.
A seize ans, toujours seul,
Je me voyais dans un linceul,
La délivrance au bout du doigt.
Mon père avait un beau fusil,
Souvent j’allais le caresser,
Sentant palpiter le bois,
Cette crosse qui luit,
Pale lueur qui m’invitait
A m’en aller.
A dix-sept, j’appuyai.


vendredi 11 février 2011

Douce France II




Je suis le fruit d'une norme NF,
Une capote qui capota,
Et me voilà !
J'vais essayer d'être bref,
Vous raconter ma vie française
D'un gosse précoce
Qui à trois ans savait rouler sa bosse
Dans toutes les rues d'une cité-malaise.
A quatre ans je découvris l'école,
Et à cinq les colles.
A six je les connaissais tous,
Momo, Dédé et Mouss.
Maman partie travailler,
Je m'occupais dans la cité.
Les grands m'adoptèrent tôt,
Voyant ce p'tit marmot
Qui gambadait,
Seul et paumé.
A sept ans ils firent mon éducation,
Me montrant comment être garçon.
A huit ans, Maman toujours sans sous,
Je décidai l'aider pour nous.
A neuf ans, déjà bien grand,
J'étais marchand,
Toujours un plan
Pour vendre aux grands.
Je rabattais l'client,
Ils me payaient comptant.
A dix ans, je découvris ce que j'vendais.
La première fois, mon corps a refusé,
Et j'ai gerbé.
La deuxième fois, mon corps était
Anesthésié.
A onze ans, je rencontrai Nico,
Un p'tit nouveau
D'un an de plus,
D'un cran de plus.
On prit des plans ensemble,
Rêvant que les grands tremblent.



A douze, on décidait de pousser les vitesses,
Et de trouver nouvelle ivresse.
Maman continuait à travailler,
Moi j'apprenais à dealer.
D'ailleurs Nico m'a bien aidé,
Et quelques mois passés
A fidéliser nos réguliers
Nous firent découvrir
Le vrai métier.
Toujours s'enfuir
Pour pas sentir le poulet.
Mais ceux-ci m'emmenèrent vite
Dans leurs cages.
Ma pauvre mère ses yeux en fuite,
Et moi en rage.
Bien sûr que je n'allais pas arrêter
Et respecter de simples volatiles
Qui ne comprennent rien
A nos besoins.
De simples pouvoirophiles
Qui veulent le bien
Des sans-besoins.



A treize ans mes poumons
Ne furent plus seuls
A profiter des poisons,
Et ce n'est pas du tilleul
Qui circulait dans mes veines.
Je devenais absent
A la mauvaise haleine.
Même plus présent
Pour ma mère pourtant ma reine.
A quatorze, Nico et moi
Nous attaquâmes
De plus près à notre âme.
Déjà sans lois ni foie,
Nous devenions sans foi et cois.
Et le liquide n'abreuvait plus nos corps
Par une bouche avide
Mais par intraveineuse.
Nous nous croyions très forts
La tête toute vide,
Les problèmes en veilleuse.



A quinze ans,
Je devins errant,
Un chien sans niche
Et sans caresse,
Gamin de triche
Et de paresse.
Ma mère toujours très pauvre,
Mon but toujours en pauvre.
Pour me fournir en extasiant,
Je devenais petit brigand.
Mais petit deviendra grand,
Je gravissais l'échelle du sang.
Avec barreaux faits de larcins,
Faits de couteaux et de violence.
Déjà caïd en ma cité, je disposais de larbins,
Comme moi auparavant dans leur petite enfance.
A seize ans vinrent les barreaux,
Les vrais cela,
Faits en acier.
Et on me fit la fête des p'tits nouveaux,
Des bans d'bouts là,
Faits en acier.
L'heure de la douche,
Etait l'heure du crassage,
L'heure de dormir,
L'heure de vomir.
Et dans ma bouche,
Il n'y avait plus que rage.
Peut-être avais-je été
Un délinquant,
Peut-être n'avais-je pas respecté
Les lois
Mais j'avais surtout été
Un pauvre enfant,
Et avais respecté
Les toi.




Ici j'appris bien plus que je ne pouvais comprendre,
Et la nature humaine, celle qui fait pendre,
Se révéla à moi comme l'obscurité révèle le corps d'une inconnue
Bien mieux que le regard.
Et c'est à ce moment que je mourus,
L'enfant remisé au placard.
A dix-sept, quand je sortis,
Je ne m'aperçus que la cage
M'avait fait devenir lion.
Et mon anus bouffi,
Maculait mon visage
De larmes en putréfaction.
Je rejoignis ma mère et ma cité.
Elle me serra, je la cognai.
Comment accepter des caresses
De celle qui m'avais fait subir
Une vie de sécheresse,
Où le mal ne côtoie que le pire ?
A part moi, je décidai
De me venger.
Plus une proie, je décidai
De dévorer.
Alors, pour me refaire
Et puis défaire,
Je repris les affaires,
Mais sans cette fois qu'elles me reprennent.
Quitte à porter des chaînes,
Autant que ce soit moi qui ferme le pêne.
J'arrêtais donc le piston
- après un ou deux fixs
pour fêter ma sortie de zonzon -
et arrêtais les rixes
de bas quartier
pour m'en aller les perpétrer.
Ce ne fut pas facile,
Et je fus pris dans la tournante
A maintes reprises.
Ce fut même difficile,
Et je fus pris dans la tourmente
Faute de prises.
A dix-huit ans,
Je commençais à m'en sortir.
Un trafic de titan,
Je bâtissais mon empire.
Discret et entouré
J'entrais dans la mafia
A petits pas.
Posé, pas défoncé,
L'heure viendra
Où je sonnerai le glas.





A dix-neuf,
Mes habits neufs,
Et ma BM,
Je me fis crème.
Crème de mafieux,
De celui qu'on r'garde pas dans les yeux.
Plus de la beuh,
Mais de la C & de la brune,
Plus de teushi,
Mais des teupus & des guns.
Un portefeuille heureux,
Auquel j'ai accroché une brune.
Une vie qui luit
De luxe, de stupre et de fun.
A vingt ans,
Je voyais grand,
Et ne me contentai
D'être chef du quartier.
Plus question de ne défoncer
Que quelques rues,
Je pris parti
De m'installer
Dans toutes les rues,
D'y régner en marquis.



A vingt-et-un,
Je me vis vain.
J'avais plongé dans mon dégout,
Et jusqu'au cou.
La belle merde que j'avais fustigé,
C'était moi qui la dispensait.
Et je pris la mesure
De ma démesure,
La totalité
De mon absurdité.
En terme de vengeance,
Je n'avais que semé la souffrance,
Mais pas pour me venger,
Pour pavoiser.
Je vis l'abîme,
Je vis mon crime
Au flambeau,
Qui après moi se transmettrait.
Aux salauds,
Qui après moi pulluleraient.
Et tous ceux
Que j'avais envoyé à la taule,
Et tous ceux
Croupissant dans leur piaule.
Je me vis déprimant dépravé,
Je me vis et ma mère harassée.
Je me vis plein d'écume libéré,
Je me vis plein de thunes enchaîné,
Je me vois, gâchette au bout du doigt.