mardi 26 juillet 2011

Douce France V

Je suis le fruit d’une norme NF,
Sans capote on cabota,
Et me voilà !
Je vais essayer d’être bref,
Vous raconter ma vie française
D’un gosse précoce
Qui fit du jeu son boss.
A un jour, premier hochet,
Un beau qui s’allumait
Quand on tirait la ficelle.
C’est bien quand on naît,
C’est tous les jours noël,
J’m’en souviens plus,
Mais c’est l’idée que j’en ai,
Et jouet sur jouet en cohue !
Enfin… à trois ans,
Quand j’me rappelle,
Je m’en foutais des pelles,
Des autos, des jeux d’enfant.
Ce que j’voulais c’était l’écran.
La tête dans la cathode,
Les mains sur la télécommande,
M’extasiant devant la diode
Et me foutant des réprimandes.
A quatre ans, première game boy,
Ma mère déjà, me trouvait grand.
J’avais trouvé le truc, quand je pleurais
Elle me la tendait,
« Unique » moyen pour me calmer.
Arrivé au CP, je savais déjà lire.
Il fallait bien,
Dans mon jeu de bagnole,
Fallait choisir sa tire.
C’est pas que je rigole,
Fallait… je me souviens…
A sept ans, j’avais la Play,
Et tous mes potes venaient.
Ça la dérangeait pas ma mère,
Au moins on la laissait tranquille.
Juste arriver quand elle posait la soupière,
Et pas gueuler pour qu’on se déshabille,
Enfiler le pyj’, et aller se pieuter
Sans sourciller.
C’est vite apprivoisé une mère,
Suffit de savoir quand on la fait chier,
Et comment la faire chialer.
A neuf ans, toujours premier,
« Ah… qu’il est éveillé ! »
Un bon bulletin
Rapportait toujours son butin,
Le dernier jeu 18/20
Dans Consolomagazine,
Je le trouvais un beau matin.
C’est que ma mère, elle était pas radine.
Abandonnée par mon père lorsque j’ai eu six ans,
Elle s’en est jamais remise vraiment.
Mais moi je m’en foutais,
C’était double-cadeaux,
Toujours des beaux,
Des jeux tout chauds,
Sony ou Nintendo.
A onze, sans me poser de questions
J’assimilais en cours mes leçons.
Jusque-là que du bon,
Et pour ma mère entière satisfaction.
J’atteignais un solide niveau
A tous niveaux.
Mais là où j’étais le meilleur,
C’était pendant toutes ces heures
Où l’écran défilait
Sous mes yeux aguerris
A la guerre dont on guérit
Sitôt la partie finie.
C’est à treize ans que je décrochais…
Et mes bulletins tiraient désormais
Dans le mauvais.
Plus jamais premier,
Je me maintenais,
Grâce à un rythme régulier,
Bonne note pour une mauvaise…
Ou comment avait tourné la mayonnaise…
Ça allait durer jusqu’au brevet
Et même après deux ans de lycée,
Mais à seize ans
(un an d’avance le gosse éveillé),
J’allais, pour une première, repiquer.
Evidemment, c’est l’année
Où j’ai eu mon premier PC
Et internet et tous ses attraits.
Ben oui, « maman j’en ai besoin pour travailler »,
Ahhhhh…. Mes premiers films de cul matés,
Premières filles tchatées,
Mais surtout, les premiers jeux en ligne,
Ceux où on joue jusqu’à ce qu’on s’aligne
Et puis dépasse les grands champions,
Ceux qui y jouent, y jouent toutes les saisons.
Et on se dit qu’ils sont tarés,
Jusqu’à c’qu’on veuille les dépasser.
Et emphasé, dépassé, déphasé,
J’arrivais à peine à me lever
Aller en cours pour me coucher,
Me réveiller enfin pour jouer,
Rejouer, et jouer jusqu’au soleil,
Une heure avant que dringue le réveil.
Mes profs l’ont remarqué,
Me demander si j’me droguais,
Aller voir pour me soigner.
Mais j’étais bien et entier,
Tout à ma passion de jouer.
A dix-sept, je m’efforçais
De redresser la barre,
Plus être aussi hagard,
Pas refaire une année.
Et puis j’ai découvert les soirées
Et le sexe opposé.
J’ai découvert le pinard,
J’ai découvert le pétard.
Alors je sentais que je vivais.
Etrange sensation
Que de sortir du cocon.
Découvrir qu’on est un cochon
Et trouver les solutions
Pour faire vivre son caleçon.
A dix-huit, ouf!, je passais
Le bac avec mention « étonné ».
J’allais pouvoir me barrer
Aller à l’université.
Enfin libre d’exister,
J’emmenais mon pc…
Ben oui, jamais on se r’fait
Et les cours je savais plus où c’était.
Levé toujours trop tard pour y aller,
Le pc, le pétard pour oublier.
Ainsi je m’engonçais
Dans les miasmes de l’oublié.
Ma mère parfois appelait,
Mais j’avais le téléphone coupé.
« Ne pas déranger, partie en cours ».
Parti en cours elle aurait préféré,
C’est pourquoi « j’y allais toujours ».
Mais que de joie en vérité,
Toutes ces heures passées
Sous mon pseudo anonyme
Faire vivre mon éponyme
Ce grand héros mystique
Et ses armées phalliques
D’hommes à trique
Portant fièrement ma tunique.
Puis, j’ai découvert dans ma salle de bains une glace…
Un inconnu m’accosta sournoisement me proposant de briser la glace…
Ce que je fis.
Ne pouvant supporter les débris
D’un corps amolli tout jauni.
Quelle était donc ma vie ?
Où était-elle cette pseudo-vie ?
Que représentait-elle ?
Virtuelle, sans lendemain réel…
Où allais-je ?
Que ferais-je ?
Mais finalement je souris
Et allai la rejoindre…
En quelques clics une vie,
25 ans RMI…
Et devant moi toute la vie.