samedi 24 juillet 2010
10 juillet : fin du voyage (journal demer)
Enfin j’aperçois les premières lueurs des phares bretons. Juste avant d’amarrer à Camaret, une dernière épreuve nous attend, et sous le crachin sur un pont glissant, nous devons effectuer des manœuvres serrées pour affaler les voiles au plus tôt dans une nuit d’encre. Après quelques cafouillages, nous y parvenons sans dommages.
Je n’ai qu’une hâte à présent, c’est de poser le pied sur le sol qui m’a vu éclore. L’attente est insupportable, et je refuse de retourner dormir pour être le premier à fouler la terre. Au petit matin, nous mouillons enfin dans le charmant petit port de plaisance de Camaret. Là, je motive les troupes pour que l’on m’emmène d’urgence en zodiac dans la ville.
Plus que quelques mètres à parcourir, et déjà mon pied se soulève… et vient prendre contact. Qu’attendais-je ? une étincelle ? une vague de chaleur ? un étourdissement ? Non, rien ne me vient. Qu’un sol plus ferme et une terre inamovible. Presque déçu. Pourtant, c’est avec joie que j’aperçois les commerces aux enseignes qui m’ont l’air si familières. Un petit crème et un paquet de clopes « fumer tue » suffisent à mon bonheur du moment. Ainsi donc la voilà cette France… génial. L’épuisement peut me regagner en même temps que nous regagnons le bateau. Après une bonne sieste, je me sens prêt à aller découvrir les alentours. J’ai cru apercevoir quelques falaises au loin, et je sais qu’un site mégalithique m’attend.
J’y vais avec Clément, et l’émotion des paysages me bouleverse. Comme c’est beau ! Ces roches découpées et cette mer qui vient s’écraser sur elles me fascinent. Je suis chamarré, perdu, heureux. Je l’ai fait ! Je l’ai fait ce voyage magnifique ! Je l’ai affronté cet océan… Je me sens en paix, en harmonie. Pour une fois je me sens presque fier de l’accompli. Je crois même m’être dit que je pouvais mourir maintenant, mais le sentiment qui domine est surtout : VIVRE !
D’ailleurs le soir, tout l’équipage est sur le pied de fête, prêt à dévorer ces ultimes moments ensemble. Et c’est une vraie fête avec des gens heureux d’être et de vivre à laquelle je participe. Certes l’alcool, mais être en leur compagnie me ravi. Je les aime intimement, tous, autant qu’ils sont. Dans leurs défauts et dans leurs qualités, ils sont magnifiques d’être simplement vivants. Il y a eu aussi les larmes de la fatigue et de notre aventure commune qui touche à sa fin, mais bon sang ! tant de joie et d’efforts nous ont réunis…
Cette expérience reste encore la plus belle de ma vie, surpassant tout…. Excepté l’amour.
lundi 5 juillet 2010
7 juillet : houle et perspectives (journal demer, la suite)
La houle nous accompagne depuis deux jours, certainement plus. Je sens ma patience qui s’érode et j’ai de plus en plus hâte de retrouver la terre ferme. J’ai l’ennui prégnant et la peur tenace, coincé entre le gris du ciel et le bleu trop profond de l’océan. Des yeux et des caresses me manquent, malgré la sympathie des personnes qui m’entourent.
On doit me réveiller pour que j’assure mes quarts (le temps est assez abstrait lorsque l’on est loin du monde), et j’ai demandé à Yann qu’on me réveille au moins de façon originale il y a trois jours. Ce fut chose faite le lendemain, avec un inattendu réveil… au trombone ! Mais le clou de mes réveils, qui m’a ému presque jusqu’aux larmes, eut lieu il y a deux jours. Ils ont été peut-être une dizaine à se mettre à l’entrée de ma cabine, et à entonner une ritournelle dans un canon à cinq voix, parsemé de rires. Je n’ai pu que fondre en rire, nu comme un ver, sous la couette dans laquelle je m’emmitouflais. Vous auriez du les voir tous ! à rigoler comme des potaches, chantant avec application malgré tout… De la belle, franche et joyeuse humanité.
Et donc, malgré cela, je sens l’appel de la terre, de ces yeux et regards. Je ne me sens pas fier sur ma frêle forteresse, sans cesse titubant, serrant les mâchoires sous les assauts d’une eau qui m’apparaît tantôt merveilleuse, parfois terrifiante, toujours mystérieuse.
Entremêlées, ce sont la solitude et la liberté sociale qui creusent leur absence. J’entends par « liberté sociale », cette possibilité de naviguer entre différents individus et groupes au gré de nos envies. Car se retrouver dans un périmètre restreint, avec toujours les mêmes personnes, implique une retenue et une adaptation de tous les instants. Cela permet évidemment de se découvrir autrement et de révéler des facettes de sa personne pas ou peu utilisées – comme ne pas juger, gommer ses a priori ; se découvrir impatient, stressé et pas seulement angoissé.
Je renoue là-bas aussi avec mon attrait pour l’astronomie. Me plonger dans les étoiles et dans l’immensité narquoise de l’univers. J’ai rarement pu mieux appréhender ma fragile et insignifiante condition d’être humain. En même temps que je m’aperçois que j’y tiens et cherche à m’y accrocher comme un beau diable, à chaque vague venant s’écraser sur mon équilibre et vérifier la théorie de la gravité qui nous aimante à la Terre. Gravité aussi cette façon que j’ai de dramatiser mes rapports à la vie ; ceux, également, que j’entretiens avec autrui.
Dans ce contexte si particulier, je peux aussi entrevoir – ce que je déteste – mon irritabilité face à la médiocrité (ma médiocrité) ; au fait que je ne supporte pas non plus que les choses ne se déroulent pas comme j’aimerais : que ce soit pour des peccadilles comme une place que je voudrais occuper et qui n’est pas vacante, ou que nous n’arrivions pas assez vite à mon goût, ou pour des raisons primordiales comme de se réaliser.
Enfin, ma tension monte. Je retourne en France. Pourquoi ? Pour qui ? Dans quel but ? Qu’y trouver ?
jeudi 1 juillet 2010
4 juillet : de la démocratie
Tiens ?! mais c’est l’indépendance américaine ! Si seulement ils pouvaient l’être – indépendants…
Le moteur bâbord qu’on a rallumé faute de vent, fume foutrement et ils s’en branlent. Bon, tant que ça pète pas, ça me va. Sinon, en parlant avec Brenda tout à l’heure, on se posait la question : qu’adviendrait-il de notre groupe si celui-ci en arrivait à s’échouer sur une « île déserte » ? LA fameuse question… Comment s’organiser ? qui s’énerverait ? Comment gérer le fait qu’il y ait (un peu) moins de femmes que d’hommes ? quel rationnement des vivres ? qui chercherait à s’isoler ? à construire ? à repartir ?
Et bien entendu, la question du leadership s’est posée, ne trouvant pas de réponse – même si le statut du capitaine lui confère d’emblée un rôle décisionnaire ; sa personnalité n’incarnant pas l’autorité, ni Brenda, ni moi n’avons imaginé qu’il prendrait la tête du groupe sur le long terme. Puis, comme je le constatais quelques jours plus tôt, il s’est avéré que nous n’avons pas pu nous décider pour un quelconque meneur. A tel point que cela me laisse présager que dans un ensemble humain comme le notre, une organisation non hiérarchique semble tout à fait envisageable et viable : à s travers une démocratie réelle où ce seraient les décisions – et non ceux qui les prennent – qui seraient votées.
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