mercredi 14 septembre 2011

Thanatomorphose




Reste droit, ne te retourne pas, mais n’oublie rien.
Souviens-toi, bien sûr tu pleuras, n’oublie rien.
Et ce ne sera pas le travail qui t’inventera,
Qui relèvera les ruines fumantes de sentiments tiédis,
Ce ne sera pas l’argent qui t’enchantera,
Qui meublera tes émotions sous emballages fleuris.

Il est des cadavres qu’on ne doit déterrer,
La nécrophilie ne ressuscitera pas ton palpitant.
Pâle pitance amère et moisie du passé,
Ne restera que chair, au goût absent.

Dans la pestilence des relents d’amours desséchées, avance.
Dans la puanteur putride des sentiments vérolés, avance.
Ne prends pas gîte dans les cimetières
Où les morts grattent à la recherche de ton cœur
Ne traîne plus les charniers délétères
Où résident encore de suffocants effluves de bonheur.

Il est des cadavres qu’on ne doit déterrer,
La nécrophilie ne ressuscitera pas ton palpitant.
Pâle pitance amère et moisie du passé,
Ne restera que chair, au goût absent.

vendredi 2 septembre 2011

Douce France VI






Je suis le fruit d’une norme NF,
Une capote qui capota,
Et me voilà !
J’vais essayer d’être bref,
Vous raconter ma vie française
D’un gosse précoce
Qui à trois ans faisait négoce
Avec ses parents
Au sortir de leurs champs.
« Des bras, des jambes et du cœur »,
Ce qu’ils me disaient en chœur.
« La vie c’est un labeur
Et nous des travailleurs ».
Je savais bien parler déjà
Et avais du gommer le non
De mon vocabulaire.
« Va-t’in traire eul’ vach
Sinon tu t’in vo avir eun’ claque ! »
Oui papa ! je m’en vais de ce pas
Me mettre au charbon,
Les vaches je vais les traire et sans braire
Récolter le lait,
Mériter mon repas.
A quatre, mon père me rossa,
J’étais tombé avec trois bûches sur les bras,
Et j’ai cogné ses tibias,
Il fit tomber son tabac
Avant de m’y passer – à tabac.
J’ai commencé à le craindre
Et loin de moi l’idée de geindre.
Après tout, pour mériter pitance,
Ne devais-je connaître souffrance ?
S’ils m’ont désiré puis accouché,
Ne leur devais-je de travailler ?
C’était si dur de m’élever,
Que je ne pouvais que les aider.



A cinq ans, je fêtais pour la dernière fois
Mon anniversaire en famille.
Après tout, « inviter tout l’monde ça coûte,
Et si in travaille nin, commint qu’on va gagner sa croûte ?.
Eul’ timps c’est d’l’argint,
Du bon timps, ça rapporte rin.
Tout y s’paie et in paie
Que si on a de quôi.
Pis pour avir eud’quôi,
In vind à ceux qui paient. »
J’apprenais bien mes leçons disait maman,
Avant même que je n’aille à l’école.
Tu es un bon garçon, pas un feignant,
Pas comme ceux qu’tu verras à l’école.
Justement à six ans,
J’en poussais les portes,
Car on est obligé à six ans,
Jusque seize avant qu’on en sorte.
Me demandant ce que c’était,
Et surtout à quoi ça sert de lire
Et de compter, quand tout ce qui comptait,
C’était de travailler.
Mais travailler pour eud’vrai.
Pas pour toutes ces coses,
Qu’in veut nous faire avoler,
In plus à côté eud’ brayoux
Qui faut tout di qui braient.
A sept ans,
J’étais bien mince,
Mais je savais,
Que j’étais le plus musclé.
Et au moins, je savais me servir de mes pinces.
Pas comme tous ces vauriens
Qui connaissaient même pas leurs mains.
Bien sûr j’étais tout seul à la récré,
Mais comment me mélanger
A ces gamins pour qui tout tombait tout fait ?
J’aimais mieux m’en tenir
A essayer vainement d’apprendre à lire.



A huit ans, j’étais trop mauvais et trop lent,
Mon instit’ voulait rencontrer mes parents.
Ça les a bien fait rire papa et maman,
De quoi qu’y s’mèlent ces gins ?!
Qui n’savo nin commint qu’in cultive un chimp ?
J’espérais juste que papa allait pas lui rentrer d’dans…
Parce qu’il avait les boules que cette bonne femme
Se permette de me juger « mauvais élève »,
Alors que je connaissais déjà tout du travail aux champs,
Alors pourquoi voulait-elle que j’me lève
Pour parfois aller apprendre des chants ?
J’veux dire, elle était pas méchante,
Juste qu’avec ses cours elle était chiante.
Finalement, mes parents n’y allèrent pas,
Des leçons à leur donner, elle en avait pas.
A neuf ans, je dormais pendant les cours,
Le travail à la ferme, les devoirs tous les jours,
Impossible pour moi.
A la maison, ça gueulait que j’travaille pas,
A l’école la maîtresse se foutait d’moi.
Toujours dernier, avec des colles où j’allais pas.
Ben non, mercredi je m’occupais des oies.
Et finalement, on me vira.



A dix ans une assistante sociale se présenta,
Voulant savoir ce qui n’allait pas.
Mon père la reçut avec fracas,
Et c’est bleuie qu’elle s’en alla.
Ce que mon père ne devina,
C’est qu’au final on me plaça.
Devant des gendarmes aguerris,
Il se résolut à lâcher son fusil.
Emm’nez-le c’bon à pus rin !
Si in peut pas faire bosser ses gamins,
Commint qu’on gagne sin pain ?
Barrez-vous bande eud’vauriens !
Barrez-vous avint que j’vous foutent eul’gueule dins l’purin !
Si y’avot nin d’honnêtes paysins, vous n’mingerios pus rin !
Et c’est ainsi qu’il me renia,
Ma mère en retrait qui pleura.
C’est l’assistante qui au foyer m’accueillit…
Croyant bon pour moi un bagne à petits.
J’y resterais quatre ans,
Et devant des gamins effrayants,
Parfois me cognant,
J’appris à lire pour m’évader,
J’appris à ne rien dire pour éviter…
Eviter les voir rire et se moquer,
Eviter le pire : les galvaniser.
Six fois l’an, maman quand même venait.
Mais ça n’était jamais facile :
Quand mon père et elle allaient à la ville,
Elle pour quelques courses acheter,
Et lui pour picoler.
Toujours trop bourré,
Alors il la laissait
Enfin en paix.
Et à nouveau elle pleurait,
Je ne pleurais jamais.
Je l’ai appris avec papa,
Ça m’a servi : pour qu’on me cogne pas.
Et chaque fois je lui disais de le laisser.
Maman, faut t’en aller.
Comment veux-tu ? si je le faisais,
Il me tuerait.
Elle n’est jamais partie,
Mais pourtant il l’a fait.
Je l’ai appris,
Deux ans après.



Juste à la fin de ma vie
Dans ce foyer délabré.
Dans la bibliothèque il y avait
Les journaux du comté.
On avait des voisins,
Les Macarez,
Une grande famille,
Grand’père, grand’mère,
Deux de leurs fils et une seule fille,
Pour l’un deux une femme,
Pour la fille un mari
Et leurs portées.
En rentrant un beau jour de juillet du marché,
Bien plus tôt qu’à l’accoutumée ;
Les légumes s’étaient arrachés,
Et le stock épuisé, mon père s’en est rentré.
C’est là qu’il surprit,
Ma mère et le volage mari
De la fille Macarez.
Chatouilleux du fusil,
Quatre balles il leur avait collé.
Une pour ma mère et trois pour le mari.
Les coups partis,
Il s’en alla les enterrer.
Mais tout ce bruit
Et le mari
Qui ne rentra jamais,
Virent déparquer la police
Et ses plus fins limiers
Un jour de fouille et d’interrogatoire leur suffit
Pour retrouver les corps à moitié dévorés dans le fumier.
Ça, les cochons se sont bien régalés.
Et je compris enfin pourquoi
Cette dernière année au foyer,
Ma mère ne vint pas me pleurer.
La gorge serrée,
Tout ce que j’espérais,
C’est qu’elle eut pris son pied
Plus souvent qu’à son tour
Dans les bras du vautour
De fils Macarez.
J’ai aussi hésité à aller voir mon père,
En prison le lyncher…
Mais c’eut été trop d’honneur
Pour celui qui ma vie et ma mère avait bousillées.



A quatorze ans devant mes progrès,
En lecture, en maths et en dictée,
L’assistante revint me trouver…
A nouveau pour m’emmener
Dans une pension de bonnes sœurs.
Après le bagne le cathé…
J’aurais finalement pu
Plus mal tomber.
Le problème c’est que j’me faisait chier…
Un Dieu auquel je ne croyais,
Et dix prières dans la journée…
Bien plus que je n’eus pu supporter.
Alors forcément je fuguais,
Il n’y avait pas de gardiens en uniforme
Comme au foyer,
Et déjà les formes
D’une fille de la ville m’attirait.
Tous les dimanches à la messe on se voyait.
Et c’est elle qui la première
M’envoya un message.
Message dont fermées les paupières,
Parfaitement je peux me rappeler.
Et je revois son visage…
Ses yeux d’un bleu sucré,
Sa bouche d’un rose foncé…
Et ses regards en dérobée…
Combien de fois y ai-je rêvé ?



Chaque dimanche j’attendais son billet,
Et toujours je lui répondais.
J’avais enfin compris que lire,
Avait une finalité…
Autre que fuir,
Ça permettait d’aimer…
Dimanche c’était trop peu,
Il nous fallait
Un plan échafauder.
Ça ressemblait à un jeu,
C’était notre vie qu’on jouait !
Alors un mercredi de mes quinze ans,
Du pensionnat je m’enfuyais.
Et le gamin errant,
Ils ne le retrouvèrent jamais.
Car ma Céline avait un cellier,
Au fond de son jardin,
Où ses parents n’allaient jamais.
C’est là que je vivrais, toute ma vie à tes côtés.
Ô ses baisers !
Ses lèvres rose foncé…
Fiévreux enfiévrés…
Deux ans de plus que moi
Et son bac à passer…
Je n’étais rien,
Vaurien dans une cabane en bois…
Elle me parla du bac…
Si je l’ai je m’en vais.
Tu n’auras pas ton bac !
Mes parents ne le supporteraient jamais
Tu n’as qu’à t’en aller…
Je ne peux pas, je ne suis pas comme toi.
Tu ne m’aimes donc pas ?
Si je t’aime, mais j’ai ma vie à gagner !
Mon père ne pensait qu’à la gagner,
Et c’est la vie que ma mère a perdu.
Moi aussi, mais je l’ai retrouvée,
Grâce à toi qui m’a embrassé…
Et moi je ne veux plus.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Je veux dire qu’il te faut partir.
Mais ma place est là, à tes côtés !
Je ne peux plus, je dois réviser,
Et puis j’ai les études que je vais commencer.
Mais ta place est ici ! à mes côtés !
Tu ne comprends pas,
Ma famille n’acceptera jamais…
Viens ! Viens avec moi !
On est pas du même monde, mais toujours je t’aimerais…
Devant l’immonde de cette pensée,
Je fuis à toutes jambes ma Céline, mon aimée.
Je décampais de cette ville,
Et pour la première fois depuis mon premier jour au foyer,
Des larmes se mirent à perler, à m’inonder.



Ô ma Céline me reniait !
J’étais mort, à nouveau mort, mort de honte d’exister.
J’allais apprendre la rue,
La violence, la drogue et la famine.
Tous les trois mois je changeais de ville,
Sans but, sans exister.
Puis un beau jour, un beau jour de juillet,
Arrivé à Paris,
A peine arrivé…
Je vis Céline…
Je vis Céline…
Au bras d’un costumé.



Toujours sublime,
Et ses lèvres rose foncé,
Ses lèvres rose foncé,
Se mélangeant avec famine
Dans celles avides de son ignoble fiancé.
J’ai vu Céline,
J’ai vu Céline.
Et je n’ai pas rêvé.
Là sur le pont,
Au bras de son ignoble fiancé.
Là sur le pont,
Où enfin j’écris…
J’écris Céline,
Je crie Céline…
Là sur le pont,
L’eau est profonde,
Je vois Céline,
J’échouai Céline,
Quand je n’avais rien demandé…
Céline dans ces lignes obscures…
La Seine ridée
Qui me murmure
De l’embrasser.
Céline, dans mes larmes se mêlant aux flots…
Céline, enfuie dans mes larmes en flots…
Je te laisse comme tu m’as laissé…
Ma sinistre enveloppe de peau
Ne vivant qu’au passé
Va se fondre dans l’eau…
Moi, ton ignoble fiancé.