Dès lors qu’il s’agit de ‘lieux publics’, les acteurs,
spectateurs, auteurs, techniciens, sont pris dans un imbroglio inextricable.
Car tous nous retrouvons dans l’un de ces rôles, sans qu’il nous soit permis de nous en départir. Car comment nous considérer spectateurs alors que, techniciens,
nous œuvrons à la réalisation de la « scène » ? Comment nous
considérer auteurs tandis que la trame nous échappe sous les mots de l’acteur ?
Comment nous considérer acteurs tandis que nous subissons le rôle-même qui nous
est alloué ? Comment nous considérer techniciens tandis que nous sommes en
train de réaliser les désidératas du réalisateur ? Comment nous considérer
acteurs tandis que nous sommes le pantin du réalisateur ? Comment nous
considérer réalisateur tandis que nous agissons en fonction du spectacle que
nous percevons – même intérieurement ?
Nous sommes mouvants, sans cesse en déplacementS dans les « champs »,
sables écumeux qui nous déposons dans chaque champ, différemment. Fables
nauséeuses qui corrompons le moindre espace-champ. Nous cheminons dans les
carcans que nous nous donnons. Evoluons dans les évolutions que nous
définissons sans cesse. Ne pas stagner. La stagnation est devenue inconcevable
dans un monde en mouvement. Il nous faut nous mouvoir. Jusqu’à nous « mou
voir » il n’y a pas une épaisse frontière, que nous franchissons
allègrement. La frontière est d’ailleurs une « vérité historique » :
en ceci qu’elle a toujours existé : en mouvement.
Mais nous cherchons des repères… qui nous conviennent. Alors
nous nous figeons : un espace et un temps qui nous arrangent. Pourvu que nous
ayons la sensation de l’emprise sur eux. Une marge de pouvoir, même infime :
nos domaines d’action. Nos phénomènes d’ « on ». Appartenir à
une identité que nous ne parvenons à identifier. Nous reconnaître dans une
entité « désentitée ». Un tout où nous serions une partie :
rien. Un rien associé à un rien dans lequel nous nous reconnaissons. Le chaînon
manquant : celui sans qui rien ne tiendrait : donc pas nous-mêmes –
riens.
Il apparaît clairement dans les discours contemporains que
nous sommes des individus divisibles, fractionnés en chiffres – au moins – qui construisons
des frontières pour exister en tant qu’ « un ». L’« 1 »
synonyme de quantité. D’appréhendable, de « donnéable ». Celui à
partir duquel nous allons pouvoir construire LA Statistique, la matrice à
travers laquelle nous pourrons nous appréhender, humain, défini, « objectivement
parlant ».