mardi 22 juin 2010
3 juillet : braver les océans, sans être brave... (journal demer)
Nous avons quitté les Açores il y a déjà deux jours. Je tente en vain d’esquisser mon futur, ma rentrée… Plus d’un an et huit mois que j’ai effectivement quitté la France, les perspectives m’apparaissent nombreuses, mais aucune ne s’impose. Pire, comme souvent chez moi… tout me tente… et rien ne me fait envie. D’autant que j’aperçois déjà les nuages couvrant le soleil, dont le nom est argent ou travail.
A part cela, les Açores ont été comme je l’espérais : magnifiques, enchanteresses, avec un goût très prononcé de trop peu.
De ce fait, nous revoilà partis à l’eau, le bateau roule plus que jamais (il balance de gauche à droite sans discontinuer), et j’ai du mal à le supporter, mon estomac et ma peur se disputant pour savoir qui des deux emportera la pression la plus forte. Certainement aussi parce que l’étincelant soleil des Açores a laissé place au gris de nuages que le vent incessant ne parvient à chasser. Certainement parce que cet intermède açoréen est le dernier avant un retour sur des terres qui me manquent, mais que je crains ne pas retrouver comme je les ai connues – ou pire ! – les retrouver sans que rien n’ai changé… malgré des changements apparents. Et le miroir des yeux de mes proches… va-t-il refléter ma vieille image ou une nouvelle ? Serais-je encore pour eux ?
samedi 19 juin 2010
30 juin : Horta, plantes, planteurs et volcans (journal demer)
Cap sur Faial et la ville de Horta. L’escale obligatoire de tout navire de plaisance effectuant la traversée de l’Atlantique. L’arrivée est impressionnante. A bâbord, c’est l’île de Faial, avec sa caldeira qui domine tout, et à tribord, c’est Pico, la point culminant du Portugal, qui émerge de l’océan soudainement et dresse fièrement ses 2351 mètres. L’île aux pirates comme on se l’imagine. D’autres surprises nous attendent. Le port de Horta est couvert de fresques des navigateurs transatlantiques, signant ainsi leur passage, car ne pas laisser de trace porterait malheur… et la marine est faite de superstitions.
Contrairement à Flores, Faial est beaucoup plus urbaine, et l’on y trouve un peu toutes les boutiques occidentales qui parsèment désormais le monde entier. Malgré cela, le mode de vie est resté très traditionnel, et l’on sent que le tourisme de masse n’a pas encore droit de cité ici. Mais les bons groupes s'affichent sur les poubelles, haha !
A mon arrivée, je décide de partir seul à la découverte des lieux, et me rend tout droit au jardin botanique. Il faut dire que les Açores, loin de tout, sont peuplées d’espèces endémiques. Il en va ainsi du trèfle à quatre feuilles, qui chez nous est une dégénérescence de nos trèfles à trois feuilles. Tandis qu’ici il est la norme, mais en voie de disparition (les superstitieux en seraient-ils la cause ?). Sur le chemin, je vois en effet de drôles de plantes, comme ci-dessous, une monstro-plante (heureusement, Jayce n’est pas loin).
Le soir venu, nous nous sommes tous retrouvés, les jeunes et moins jeunes du Rara et du Bel Espoir, pour sortir dans les bars et boîtes de la ville. Pas mal d’entre nous ont fini la tête à l’envers, au moins me suis-je senti un peu moins seul le lendemain à l’heure de la gueule de bois. Mais pas suffisamment mal pour remplir mon programme du jour : la Caldeira.
Avec Lionel et Vincent, nous avons donc entrepris de faire tout le tour de l’ancien cratère, effondré sur lui-même. Nous imaginions de beaux panoramas là-haut, ils étaient en fait magnifiques. Tout en haut, on apercevait forcément le Pico et toute l’île de Faial, et un petit bout de terre, véritable paysage lunaire. Le plus surprenant étant ce phare, au milieu des terres et qui ne sert plus à grand-chose. En fait, j’ai appris par la suite qu’il y a une cinquantaine d’années, en une nuit, la terre est sortie des eaux grâce à l’activité volcanique. Et ce sont trois ou quatre kilomètres carrés de terre noire qui sont sortis des flots, agrandissant nettement le jardin de quelques habitations.
Ce soir, nous quittons les Açores. Cette fois, l’heure du retour a sonné. 8 nouveaux jours sans voir la terre, puis, la France. Qu’est-elle devenue ? Ai-je hâte ou ne veux-je pas rentrer ? Je n’en sais plus rien…
dimanche 13 juin 2010
29 juin : Flores, ses hommes et ses fleurs (journal demer)
Aujourd’hui dimanche sur l’île de Flores. Hier après-midi, nous avons fait du stop à plusieurs pour trouver une bonne âme qui veuille nous amener plus loin dans les terres. Ainsi, après quelques kilomètres passés à l’arrière d’un pick-up, on nous dépose au bord d’un lac formé dans un ancien cratère. Le retour au bateau prend alors une allure de randonnée bucolique, à travers champs, pâtures et pâturages, mais surtout d’innombrables étendues de fleurs, notamment d’immenses haies d’hortensias bleues qui s’étirent sur toute l’île. Les panaches de nuages s’accrochant paresseusement aux sommets laissent une impression d’irréel, et parfois l’on ne sait plus si l’on marche sur la terre ou le ciel.
Le soir, en traînant (une fois de plus) les quelques rades de la ville – à ma connaissance au nombre de cinq pour les quelques 1500 habitants que compte la ville (pour un total de 4000 sur l’île entière) – nous avons fini par rencontrer quelques autochtones qui nous ont invité à nous joindre à un grand repas public traditionnel, se déroulant aujourd’hui dimanche.
En fait, nous avons appris que chaque dimanche sur l’île, les paroisses invitaient les gens à un grand repas, ouvert à tous et totalement gratuit. Les villes et villages de Flores organisant ces banquets à tour de rôle.
Emergeants péniblement un peu après midi (nous remettre de la soirée de la veille), Yann et moi sommes donc allés en ville en quête de la salle où se servait le déjeuner. Après quelque errance, nous avons finalement décelé un grand attroupement autour d’un bar. En fait, le bar attenant à la salle paroissiale. A l’intérieur, environ deux cents places assises, toutes occupées. Prêts à rebrousser chemin, nous nous renseignons auprès des personnes à l’entrée, qui nous disent que c’est le deuxième service, que nous pourrions participer au troisième, et que de toutes façons, vu le monde, il y en aurait certainement un quatrième.
Enfin, les places se libèrent et nous entrons dans une grande pièce aux apparats catholiques. De grandes tables sont installées, avec des bancs de chaque côté. Chacun se place où il veut ou peut et nous trouvons place entre une famille portugaise typique et un couple… moitié français et moitié portugais qui réside ici, sur Flores. La foule est familiale. Tous les âges se côtoient, et l’on voit vite que tout le monde ou presque se connaît. Pour autant, nous ne nous sentons pas à l’écart, au contraire ! La soupe de poissons est délicieuse, et on nous sert boissons et mets jusqu’à plus faim et plus soif. Pour preuve, alors que nous terminons presque une bouteille de vin, une dame arrive qui nous sert le fond de la bouteille et nous en ramène une autre illico.
Une fois la panse bien pleine, nous avons rejoint Laurent et Gérard installés en terrasse du café d’à côté. Ce sont tous les vieux de l’île qui semblent se retrouver ici, pour discuter, jouer aux cartes ou prendre un café ou une bière. Pour nous, les bières s’enchaînent jusqu’à ce que nous revenions tous un peu éméchés vers le bateau prêt à larguer les amarres pour nous emmener à Horta, notre prochaine destination dans les Açores. Le cœur me pince de quitter si tôt ce petit paradis, mais avec la promesse d’en retrouver un très vite.
jeudi 10 juin 2010
28 juin : Arrivée au Pays Imaginaire... les Açores ! (journal demer, suite)
Au petit matin, une clameur enfle dans le ventre du bateau, qui vient me réveiller. Comme dans les films, quand la vigie s’écrie « terre, terre, terre » ! Et sous la masse compacte d’énormes nuages à fleur d’eau, je vois bientôt se découper plus abruptement une langue de terre (!) tranchant la platitude de l’océan. Puis, c’est la silhouette imposante d’un rocher volcanique qui se dessine. Et à mesure de notre approche vient se joindre le bel absent à travers ses rayons : le soleil. Le paysage offert semble être ce Pays Imaginaire que découvre Peter Pan.
Flores. Ecrin de verdure au sein d’un bleu infini. C’est à Lajes que nous accostons. Après huit jours sans voir la terre, l’émotion me submerge. « Je veux vivre ! » ai-je envie de hurler. Combien la vie est précieuse et riche… Je veux embrasser la terre elle-même, en entier. La goûter à pleines dents, sans en perdre la moindre miette. Ce nouveau monde qui s’étale sous mes yeux est splendide. Tout en roches, herbe, arbres et fleurs. Il y a des fleurs à perte de vue ici, et au détour d’un lacet du sentier, on peut découvrir des lacs dans les vieux cratères des volcans. L’homme n’a pas conquis cet espace, il s’y est adapté en douceur. La nature est encore partout, maîtresse absolue à qui l’on voudrait faire l’amour. Elle est belle, tellement belle…
mercredi 9 juin 2010
27 juin : La communauté autonome
Après les voiles, pour palier au manque de vent, nous avons remis les gaz en partie pour tenter d’atteindre les Açores au plus tôt, afin d’en apprécier les contours quelques jours.
Phénomène étrange, mais chaque jour, en fin d’après-midi, nous avons la visite de troupes de dauphins venant s’égayer à la proue du bateau. Ils jouent avec les vagues et les ondes produites par l’avancée du Rara. Ces animaux téméraires sont fascinants. Comment ne pas craindre l’espèce assassine et génocidaire qu’est l’espèce humaine ? Surtout que, contrairement aux chats et aux chiens, les dauphins ne se situent pas exactement sous protectorat humain…
Autrement, je me retrouve sous le coup de la surprise. En effet Yann, le capitaine, n’est pas un modèle d’autorité. Nous nous retrouvons libres, faisant des choix, prenant des initiatives, sans réelle coercition. Car nul autre membre d’équipage ne cherche à s’imposer, ni ne s’impose naturellement. Ainsi, nous évoluons dans une espèce de communauté autonome où des tâches sont allouées à des groupes de trois ou quatre personnes, avec un système de roulement, et dont le mot d’ordre semble être : si on ne le fait pas, fais-le. Si certains gestes sont induits, influencés par des paroles ou des demandes expresses, la grande majorité d’entre eux relèvent du libre-arbitre, et cela sans manifestation apparente de pression sociale.
Le plus surprenant est qu’un ordre hiérarchique est établi de facto : il y a un capitaine donc, un second « tacite » (je dis tacite, car c’est la somme de ses connaissances et compétences qui l’ont établi à ce poste pour le groupe), et quatre chefs de quart. Même ceux-là, dans des structures de quatre à cinq personnes n’imposent rien. Ils prennent des décisions, mais avec une concertation préalable. De plus, chacun a toujours son mot à dire ; quand bien même – en terme de navigation – la personne est novice.
Le phénomène de diffusion du savoir semble absous d’ascendance du « maître » envers l’apprenti. Et le plus souvent, c’est l’apprenti qui doit s’en aller quérir la connaissance. Ce qui est d’autant plus agréable, car je ne décèle aucune rétention de l’information.
L’individu, dans la communauté éphémère que nous formons, est respecté. Et pour le moment, si des traits de personnalité émanent de chacun, il n’est pas de « cases » figées dans lesquelles nous nous plaisons à placer chacun. La découverte de l’autre est progressive et s’effectue au gré des discussions et interactions. Ainsi, nous sommes des êtres en perpétuelle évolution, riches de nos expériences respectives. La notion de jugement d’autrui n’est pas encore perceptible à mon sens. Nous naviguons en fonction des idées, opinions et avis divers qui transitent dans notre présent.
Cette alchimie fonctionne sans accroc, et je suis curieux de connaître la suite des évènements, le déroulement futur de nos échanges. Cet équilibre en apparence solide résistera-t-il à la nature humaine ? Ne vois-je que la partie émergée de l’iceberg ? La quiétude et la douceur du ciel cèderont-elles à l’inquiétude et aux orages ?
jeudi 3 juin 2010
25 juin (journal demer) : au milieu de nul, pars...
Cette fois, ça secoue vraiment. Nous avançons plus vite, et uniquement à la voile. Le bateau n’en finit plus de « rouler » et les vagues qui viennent s’écraser sur lui font trembler la coque et mes nerfs. Pourtant, je ne me sens pas mal du tout – vivant, ici, dans ce vivarium lancé sur l’eau.
Il est étrange de ressentir le souffle de la liberté en même temps que l’oppression de l’enfermement. Ainsi je vacille entre « aérophorie » et claustrophobie. Tandis que l’écume des jours égrène sa houle… Roule !
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