lundi 15 février 2010
10 juin (journal demer, suite)
Après une première soirée des plus arrosées, la gueule de bois s’est installée entre mes deux yeux. Pour autant, si la terre tangue aujourd’hui, je retourne faire une marche seul, croisant une multitude d’yeux prolongés d’un énorme nerf optique à poils… des centaines de sortes de « chenilles » jonchent le macadam. Je dois prêter attention à chaque pas pour ne pas transformer l’asphalte en purée ocre.
Je me retrouve à faire du stop pour étendre ma connaissance de l’île. Là, après quelques minutes, je me retrouve dans une vieille guimbarde, avec les deux occupants qui vont avec : deux vieux québécois d’une quarantaine d’années, je dirais. Je leur fais part de mon envie de pousser la visite au plus loin de l’île ; je vais la quitter incessamment sous peu. Sitôt sur pneus, ils roulent un énorme pétard de cette beuh québécoise qui assomme son client dès la deuxième latte. Avec la tête en vrac, je me dis qu’il faut quand même faire bonne figure : accepter les mœurs maison. Ils proposent de m’emmener à un petit port de pêche typique situé à une trentaine de kilomètres de là, d’après ce que je perçois. Après un an et huit mois, je pensais savoir le québécois sur le bout des doigts de pied. Ils m’ont fait démonstration du contraire avec un accent que je n’avais encore jamais entendu. Est-ce le brouillard de la veille, celui du joint, ou que je ne comprenais foutrement rien de ce qu’ils me racontaient ?
Toujours est-il que nous nous sommes retrouvés parqués (« hey mon chum ! Parque don’ton chaaar ! ») devant une maison assez cossue – pas en accord avec la voiture et ses habitants, en fait. Là, l’un des deux commence à fouiller un peu partout, et pousse un cri d’exclamation lorsqu’il met la main sur une clé. Puis, il s’en va ouvrir un garage. Je commence à me dire que c’est louche. Ils vont quand même pas cambrioler une baraque avec moi dans la caisse, quand même ?! (Là, ça doit être le pét’.) Le blond rejoint le brun. Ils entrent… quelques secondes et ressortent chargés d’une bouteille de plongée. Bon, bizarre, mais pas de quoi s’alarmer. Une fois deux – ou trois – bouteilles chargées, on remonte en voiture.
Bientôt, nous arrivons en vue d’un village. Les maisons, aux couleurs encore plus vives que celles que j’avais vues jusque là, étincellent sous les rayons vifs et éphémères d’un soleil qui ne demande qu’à percer. Nous arrivons au port. Là, le brun commence à se dessaper en sortant de voiture. Je fais pas le lien tout de suite. Ahhh… je viens de comprendre ce qu’il me disait dans la voiture ! Les syllabes entendues se transforment en mots. Il est plongeur, chargé d’entretenir les moteurs des bateaux avariés. En fait, ça consiste surtout à couper les filets ou autres saloperies qu’on déjette à la mer et qui viennent se prendre dans les hélices des rafiots. Je m’aperçois alors qu’il m’emmène assister à une de ses plongées. Combinaison thermique obligatoire. On se les pèle encore au Québec !
N’empêche, je trouve ce petit village discret, presque timide, finalement plein de charme. Puis, il s’approche de l’eau, d’un gris pur. Elle a l’air gelée. Et je le sais pour l’avoir touchée du bout du gros orteil la veille. Il plonge et s’enfonce sous le bateau de pêche qu’il doit réparer. Dès la tête sous l’eau, on ne l’aperçoit plus. Les gens sont silencieux autour. Pas une bulle ne vient troubler la surface. On attend… deux minutes ? cinq ? dix ? Il reste dessous. Et remonte soudain, un serpentin vert dans les mains. L’objet du délit : le reste d’un filet de pêche. Mission accomplie.
Entre temps, un vieux s’est approché pour regarder la scène. Il ne dit rien et regarde. Le plongeur revient vers nous, dégoulinant. Le vieux les connaît et leur parle pendant que le plongeur retire sa combinaison et s’essuie. Tout cela est machinal. Il doit faire ça depuis un paquet d’années. Là, quand le vieux lui parle, je percute rien, y’a pas un seul traître mot qui fasse clignoter mon cerveau. Je pige que dalle. Le vieux amène alors une glacière et en extrait trois beaux poissons. Il prend son couteau de poche, une sorte d’Opinel, et tranche dans la chair avec la facilité de l’habitude, six superbes filets d’un blanc éclatant. Le plongeur a du lui rendre service un jour précédent, et c’est comme ça qu’il le remercie, ou le rétribue.
C’était donc ma petite visite guidée perso. Je sens qu’il est fier de m’avoir montré son métier. Je l’en remercie : voir ces personnes se connaître me ramène aux liens que je vais renouer en France. Ceux du tu et du jeu. Du je et du tue. Ils m’évoquent l’essentiel, ce qui rend – aussi – vivant.
Le retour est plus détendu. Je suis un peu moins perché, et ils font quelques détours pour me montrer leur île. Je n’en demandais pas tant !
J’arrive enfin à bon port (pour une fois que c’est vrai).
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